Parcours d’indésirables : la famille Liebknecht
Cette 68ème chronique Pour mémoire est en lien avec :
► l'exposition "Le temps de la guerre. 1939-1945 dans le Gard"
proposée actuellement (jusqu'au 31 mai 2027).
► la conférence "Herta et Robert Liebknecht" animée par Dominique Villayès-Poirré, le samedi 6 décembre 2025 à 14h00, aux Archives départementales du Gard. Plus d'info consulter Le cycle de conférences autour de cette exposition![]()
La notion "d'indésirables" s'est d'abord appliquée aux étrangers avant d’être étendue à certains Français.
- Le décret-loi du 12 novembre 1938 permettait l'internement des étrangers prétendus dangereux pour la Défense nationale ou la sécurité publique.
- Le décret-loi du 18 novembre 1939 étend la possibilité d'internement aux Français sur décision du préfet qui peut décider un internement sur simple présomption de dangerosité.
- L'article 3 du décret du 18 novembre 1939 permet d’astreindre les "indésirables" à "tous travaux intéressant la Défense nationale".
- À partir de 1939, de nombreux camps ouvrent ainsi en France. Des dizaines de milliers d'hommes, femmes et enfants s'y entassent dans des conditions d’hygiène déplorables.
Robert Liebknecht est né à Berlin en 1903
Il est le fils et le petit-fils de militants révolutionnaires allemands :
- Wilhelm Liebknecht (1826-1900), son grand-père, ami de Marx, fondateur du Parti social-démocrate allemand
- et Karl Liebknecht (1871-1919), son père, assassiné pendant la révolution communiste de Berlin.
Installé à Berlin au début des années 1930, Robert Liebknecht est peintre et dessine des scènes de la vie quotidienne.
Il fuit l’Allemagne nazie et se réfugie en France dès avril 1933 avec sa femme Herta.
À la déclaration de guerre en septembre 1939, les hommes originaires d’Allemagne, doivent rejoindre des camps de rassemblement. Robert rejoint alors le camp des Milles dans les Bouches-du-Rhône. Cette mesure d’internement touche aussi les femmes. Herta Liebknecht rejoint de son côté le camp de Gurs dans les Basses-Pyrénées.
Robert quitte le camp des Milles le 15 novembre 1939 et part pour le camp de Langlade dans le Gard.
Il est d’abord incorporé le 6 juin 1940 dans la 803e Compagnie de Travailleurs étrangers, non comme soldat car relevant d’un pays belligérant mais comme prestataire dans la lutte économique. Des documents témoignent ensuite de la "Présence au corps" de Robert Liebknecht dans la 319e Cie le 13 juin 1940 puis dans la 304e le 26 septembre 1940.
Herta quitte le camp de Gurs et séjourne au camp du Mas Boulbon dans le Gard du 20 juillet au 9 septembre 1940.
Robert Liebknecht est ensuite employé au début de l’automne 1940 comme ouvrier agricole sur la commune de Calvisson.
Il séjourne alors chez Marcel Arnaud, sa femme Valérie et sa sœur Alice.
Son épouse le rejoint. Les deux familles vont nouer une solide amitié.
Il s’adonne sur son temps libre à la pratique de la peinture en peignant des paysages de la Vaunage et dessine également quelques portraits de prestataires qu’il a côtoyé durant ses différents internements.
Mais l’étau se resserre autour de la famille Liebknecht.
La pression exercée par l’organisation nazie Todt s’accentue en 1942 et devient dangereuse pour les prestataires comme Robert.
Herta est par ailleurs juive et s’est faite recenser à la préfecture du Gard en 1941 comme en atteste sa fiche de recensement.
Robert est réquisitionné le 24 mars 1943 par l’organisation Todt.
Le couple décide alors de s’enfuir pour la Suisse, muni de faux-papiers avec leur fille Marianne née en août 1941. Ils échappent de justesse à des tirs à la frontière près d’Annecy.
Ils entretiennent une riche correspondance avec la famille Arnaud durant leur exil.
Correspondance entre la famille Arnaud de Calvisson et les Liebknecht réfugiés en Suisse (16 avril 1945)
Calvisson, le 16 avril 1945
Bien chers amis.
Je ne veux pas attendre plus longtemps sans répondre à votre longue lettre qui nous a fait un immense plaisir, surtout de vous savoir en bonne santé et en sécurité ; après toutes vos pérégrinations.
Nous souhaitons tous que ces mauvais jours soient passés pour toujours ! … et qu’enfin la paix puisse nous réunir à nouveau en nous rendant notre liberté chérie.
Ici, il nous semble renaître depuis la libération d’août 1944 […] Nous serons très heureux lorsque vous pourrez venir à Calvisson faire le repas de la victoire et de la paix avec nous. Ce sera un beau jour pour tous.
La famille Liebknecht est rapatriée en France à l’été 1945.
Revenus à Paris, ils se battent pour retrouver leur atelier-logement et n’obtiennent leur naturalisation, malgré un avis très favorable rendu en 1949, qu’en 1953. Ils resteront à Paris jusqu’à leur disparition.