Curiosités & Trésors (Décembre 2025)

Tous les mois, les Archives départementales du Gard vous proposent de découvrir des documents originaux et uniques extraits de leurs fonds iconographiques. Les "Curiosités & Trésors" du mois vous sont présentés.

Revenons à notre scène présentant la foire de Beaucaire au XVIIIe siècle (Curiosité et trésors, novembre 2025) – conservée aux Archives départementales du Gard – afin d’aborder une remarquable particularité de ce document, qui va nous transporter aux balbutiements de l’image en trois dimensions. En effet, cette estampe est une vue d’optique, dispositif destiné à accentuer la perspective et à donner l’illusion de la profondeur et du relief.

Dès les années 1740, dans ce siècle marqué par une intense curiosité scientifique, apparait et se diffuse dans l’Europe des Lumières une mode nouvelle, celle de contempler des estampes à travers un instrument d’optique appelé "zograscope" (du grec zôo, "vie", et -graphos, "qui décrit"). Doté d’une lentille biconvexe de faible focale, présentant une aberration sphérique sur les bords, cet appareil, monté sur un pied, est complété par un miroir inclinable à 45°.

Sur notre document – comme c’est la norme pour les vues d’optique, exclusivement horizontales – le nom du graveur est absent, tandis que celui de l’éditeur apparaît : ici, le renommé Basset, qui possédait donc une matrice en cuivre. Le titre, placé dans la marge supérieure, est inversé de manière à pouvoir être lu à l’endroit à travers le zograscope. Les dimensions, hors marges (25 cm x 40 cm) répondent, elles aussi, aux standards du genre. Quant au sujet, il correspond parfaitement à ceux habituellement représentés : les vues d’optique sont le plus souvent topographiques, avec des lignes de fuite fortement marquées, voire exagérées, de manière à renforcer la perspective et donner une nette impression de relief. Ici, la composition – avec la longue esplanade du champ de foire, parallèle au cours du Rhône, flanquée de deux imposants châteaux – se prête particulièrement à cet effet de profondeur.

Nous vous présentons, à titre de comparaison, l’exemplaire original de Littret – conservé à la Bibliothèque nationale de France – qui a servi de modèle au graveur avant d’être adapté pour la vue d’optique. On observe ainsi des différences de composition, notamment dans l’intention de profondeur mais également dans le traitement des détails.

Cette estampe était donc conçue pour être observée à l’aide du zograscope, instrument qui cherchait à restituer la tridimensionnalité du réel. Ce procédé préfigure le stéréoscope et annonce les futurs développements de la photographie. L’intrigant diorama de Louis Daguerre trouve d’ailleurs ses fondements dans cette exploitation de la perspective, avant d’aboutir, avec le concours du visionnaire Nicéphore Niépce, à la fabrication du daguerréotype en 1835.

La vue d’optique, devient une image grand public extraordinairement populaire. Tirée souvent à des milliers d’exemplaires, elle propose désormais une expérience visuelle du monde davantage éducative qu’esthétique, l’effet spectaculaire apparait désormais dans l’iconographie en même temps qu’émergent de nouvelles pratiques culturelles.