Le travail des enfants (XIXe–début du XXe siècle)

Si les enfants sont depuis longtemps déjà considérés comme une force de travail, la révolution industrielle qui s’enclenche dans la première moitié du XIXe siècle accentue encore ce phénomène.

Devenus de véritables bêtes de somme, ils sont sollicités pour toutes sortes de travaux dès l’âge de huit ans, parfois même plus jeunes encore.

C’est en Angleterre, pays le plus industrialisé d’Europe à cette époque, que l’on observe d’abord le plus grand nombre d’enfants mobilisés pour travailler dès leur plus jeune âge.

Mais la France, gagnée par cette industrialisation massive ne tarde pas à imiter l’Angleterre dans cette course au profit, faisant fi de l’intégrité physique et morale des enfants.

Les plus exposés au travail forcé sont d’abord ceux de l’assistance publique dont le sort importe peu, même si certaines familles rongées par la misère n’hésitent pas à "vendre" aussi leurs enfants très jeunes comme domestique ou autre.

L’exploitation ouvrière des enfants de l’assistance

En effet, les enfants abandonnés sont d’abord placés en nourrice ou élevés à l’hospice puis rapidement envoyés aux mines pour les garçons ou dans les filatures pour les filles.Ils travaillent alors 12 à 14 heures par jour dans des conditions de promiscuité et d’hygiène déplorables.

Les garçons poussent les wagonnets remplis de charbon et se faufilent dans les boyaux étroits afin d’acheminer les outils nécessaires aux mineurs.

Ils sont exposés, tous comme leurs aînés, aux accidents provoqués par les coups de grisou, les éboulements ou encore les inondations, comme Léonard Tempère, âgé de seulement 13 ans et 11 mois, écrasé par un monte-charge aux mines de La Grand-Combe le 2 mai 1908 ou encore le jeune Edouard Bourgade, âgé de 14 ans et 10 mois, victime d’un éboulement à la mine du Ravin-Trescol le 1er avril 1899.

Le salaire de ces jeunes apprentis mineurs est en outre dérisoire. Entre 1 et 1,8 francs par jour pour un garçon entre 8 et 10 ans contre 5 à 12 francs par jour pour un mineur adulte travaillant 14 heures.

Les jeunes filles placées dans les filatures connaissent un sort tout aussi dramatique.

En effet, nombreux sont les propriétaires de filatures qui optent pour cette main-d’œuvre peu onéreuse en passant accord avec les directeurs des hospices. Par ailleurs, si les filatures disposent de dortoirs pour héberger cette main-d’œuvre juvénile, les avantages sont encore plus considérables pour les manufacturiers qui perçoivent en outre des subventions des autorités locales. Enfin, cette main-d’œuvre échappe à tout contrôle de l’inspecteur du travail et reste donc corvéable à merci. Les conditions de vie de ces jeunes filles de l’assistance s’apparentent alors aux colonies agricoles pour garçons qui fleurissent dans le département à la même époque.

Exploitées, les jeunes fileuses disposent de peu de temps libre et ne récoltent qu’un maigre pécule pour un travail de forçat, les mains toujours plongées dans l’eau bouillante, baignées dans une vapeur nauséabonde, les pieds gelés par la proximité des écoulements. Condamnées aux tâches les plus ingrates et les moins bien payées (moins d’un franc par jour), beaucoup rejoignent leurs hospices malades et meurent avant la fin de leur contrat. À partir de 1880, les jeunes filles de l’assistance publique ne sont plus placées dans les filatures. Nombre d’entre elles se retrouvent ménagères pour de riches familles et plus ou moins bien traitées.

Le cas particulier des bagnes pour enfants : l’exemple de la colonie du Luc

En 1810, le vagabondage est défini comme un délit dans le Code pénal.

En pleine industrialisation, les campagnes se dépeuplent et poussent les plus pauvres sur les routes à la recherche d’un emploi. Les abandons d’enfants se multiplient et nombre d’entre eux se retrouvent contraints à la mendicité. Les premières colonies agricoles pénitentiaires pour enfants fleurissent à partir de 1850. L’objectif est de ramener ces enfants à la terre pour les sauver de la mendicité, source de délinquance. On compte ainsi 24 colonies en France dès 1850.

Alors que les jeunes filles sont placées dans des établissement religieux afin d’y recevoir une bonne éducation chrétienne, les garçons sont placés dans des colonies agricoles.

Dans le Gard, la colonie du Luc voit le jour en 1856 sur l’initiative de Monsieur Marquès du Luc, magistrat à la cour d’appel de Nîmes, qui décide d’utiliser sa propriété des Causses sur la commune de Campestre-et-Luc pour y installer de jeunes détenus en vue de les ramener dans le droit chemin en vertu de l’article 3 de la loi du 5 août 1850 :

Les jeunes détenus acquittés en vertu de l’article 66 du Code pénal comme ayant agi sans discernement, mais non remis à leurs parents, sont conduits dans une colonie pénitentiaire afin d’y être élevés en commun, sous une discipline sévère, et appliqués aux travaux de l’agriculture, ainsi qu’aux principales industries qui s’y rattachent. Il est pourvu à leur instruction élémentaire.

Ces derniers sont d’emblée mobilisés pour construire un chemin vicinal, deux réfectoires et deux dortoirs ainsi qu’une chapelle pour une cinquantaine de personnes. Très vite, les jeunes colons sont exploités.  Les enfants âgés de 6 à 12 ans sont chargés de mettre les terres en culture, les plus âgés sont cantonnés aux travaux lourds, notamment l’aménagement d’une galerie dans la faille de Saint-Ferréol, pour y faire du roquefort.  L’exploitation des 1500 hectares de la propriété nécessite en outre de débroussailler, d’épierrer et de construire des murets. En plus des travaux aux champs, les enfants sont employés au tracé et à l'empierrement de chemins ainsi qu’à des travaux de vannerie et de cordonnerie.

Encadrés par des gardiens sans formation, ils subissent de nombreux sévices corporels et vivent dans des conditions d’hygiène déplorables, mal nourris, travaillant jusqu’à 16 heures par jour en été. Les punitions (piquet, pain sec ou cachot) sont fréquentes. On dénombre 135 morts entre 1856 et 1904.

En 1912, une inspection révèle le caractère pénitentiaire de l’établissement qui n’a rien d’un centre d’apprentissage. Toutefois, la colonie ne fermera définitivement ses portes qu’en 1929.

Victor Hugo consacre un poème à ces jeunes forçats dans "Les Contemplations"

Certains contemporains s’émeuvent toutefois de cet esclavage juvénile, tel Victor Hugo qui consacre un poème à ces jeunes forçats dans Les Contemplations :

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?
Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d’une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d’airain, tout est de fer.
Jamais on ne s’arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! La cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas…

La bataille législative pour encadrer le travail des enfants

Une première loi du 21 mars 1841 (Loi relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines et ateliers), limite l’âge d’admission dans les entreprises de plus de 20 salariés à 8 ans, interdit le travail de nuit pour les enfants de moins de 13 ans et limite le temps de travail à 8 heures pour les enfants âgés de 8 à 12 ans et à 12 heures pour les enfants de 12 à 16 ans. Dix ans plus tard, une nouvelle loi limite le temps de travail à 10 heures en dessous de 14 ans et à 12 heures entre 14 et 16 ans.

Le 19 mai 1874, une nouvelle loi sur le travail des enfants et filles mineures dans l'industrie interdit le travail des enfants de moins de 12 ans, le travail de nuit pour les jeunes filles mineures et pour les garçons de moins de 16 ans. Le repos du dimanche devient obligatoire pour eux. Enfin, le 2 novembre 1892, la durée du travail est limitée à 10 heures pour les moins de 16 ans.

Toutefois, si plusieurs lois sont adoptées entre 1841 et 1892, elles sont rarement appliquées dans les faits. Sans instruction, sans formation et sans protection légale, les jeunes enfants sont livrés au bon vouloir du patronat qui profite de la situation. Il faut attendre la loi du 2 novembre 1892 qui porte création d’un service d’État d’inspection du travail pour voir intervenir les premiers inspecteurs du travail dans les usines et les manufactures. Leur nombre reste toutefois limité et seuls 30 à 40 % des établissements sont visités chaque année.

Une nouvelle loi du 12 juin 1893 impose aux machines d’être conformes à des normes de sécurité bien définies tandis que la journée de 10 heures pour les ouvriers adultes est instaurée par la loi du 30 mars 1900. Un décret du 28 décembre 1909 fixe quant à lui la limite des charges devant être imposées aux femmes et aux enfants de tout âge. Malgré le renforcement de la législation en matière de sécurité et d’emploi, la réalité est tout autre. Les heures de travail de jour comme de nuit sont peu respectées, les machines dangereuses ne font l’objet d’aucun contrôle et leur maniement ne s’accompagne souvent d’aucune précaution et formation particulière.

Les lois Jules Ferry du 16 juin 1881 et du 28 mars 1882 rendant l’école obligatoire jusqu’à l’âge de 13 ans, permettent toutefois de soustraire quelques jeunes enfants au travail forcé en leur donnant accès à l’éducation, source bien plus tard d’ascension sociale pour les générations suivantes.

Lors de la guerre 1914-1918, la pénurie de main-d’œuvre ramène le temps de travail à 12 heures par jour au lieu des 10 heures réglementaires. Dans les mines, il faut attendre 1945, date de la création de centres d’apprentissage spécialisés, pour que la descente au fond soit définitivement interdite avant l’âge de 16 ans.

Si le travail des enfants est interdit aujourd’hui en France et réglementé pour les jeunes de 14 à 18 ans, on ne dénombre pas moins de 150 millions d’enfants travaillant aujourd’hui dans le monde dont 70 millions dans des conditions mettant leurs vies directement en péril. L’Europe n’est pas épargnée par ce phénomène qui s’est aggravé ces dernières années notamment dans les pays de l’Est.