Les pendus de Nîmes

Il y a 80 ans, au cours de la deuxième quinzaine d’août 1944, les principales villes du Gard sont libérées de l’occupation allemande. L’exposition itinérante “La Libération dans le Gard”, retrace les événements qui ont mené à la libération définitive du département, le 28 août 1944.

Parmi ces événements, il y a l’histoire des pendus de Nîmes.

Les arrestations

Dans la nuit du 27 au 28 février 1944, un détachement de la 9ème Panzer-Division SS Hohenstaufen commandée par le général BITTRICH, accompagnée par la Feldgendarmerie qui lui était rattachée, quitte Nîmes en direction des Cévennes dans le but d’éradiquer les maquis cévenols du Gard et de la Lozère, conjointement aux troupes allemandes installées à Mende et Florac. 

Driolle

Les troupes allemandes se dirigent d’abord en direction de Driolle, hameau de la commune de Saint-Roman-de-Codières. Là, sont arrêtés Miguel ORDINÈS, bûcheron, son fils Jean ORDINÈS, Roger MATHIEU, Jean-Louis BAUDOUIN et Roger BROUSSOUS, tous les quatre réfractaires au Service du travail obligatoire (STO). S'ajoute à la liste René KIEFFER, un des recruteurs du noyau de réfractaires de Driolle. Après avoir amené leurs prisonniers à Saint-Hippolyte-du-Fort, les troupes allemandes repartent à Driolle afin de piller le hameau et d’incendier les maisons.

Au même moment, Fernand SOULIER, fils de l’un des habitants de Driolle, se voit contraint de conduire un autre commando SS à la ferme des Fosses, sur la commune de Colognac. Ne trouvant personne sur les lieux, les Allemands abattent leur guide. Son corps est découvert trois jours plus tard par un paysan.

Roger BROUSSOUS est amené sur le viaduc qui surplombe la route de Lasalle, à la sortie de Saint-Hippolyte-du-Fort, la corde au cou, devenant la première victime de cette journée. Le lieu choisi pour cette pendaison n’est pas un hasard : il se situe à quelques mètres du château de Planque, siège de la Kommandantur, où les prisonniers de Driolle sont retenus.

Lasalle

Le même jour, le centre d’accueil polonais de la commune de Lasalle est visé par les troupes allemandes. Plusieurs personnes sont arrêtées puis libérées quelques heures plus tard, à l’exception de Jean JANKOWSKI, directeur du centre, Jan LUKAWSKI, Joseph DAMASZEWICZ et Stanislaw KASJANOWICZ.

Le camion transportant les prisonniers s’arrête sous le viaduc où se trouve encore le corps de Roger BROUSSOUS. Les cinq prisonniers de Driolle montent également à bord du camion.

Ardaillès

Le 29 février 1944, la 9ème Panzer-Division SS Hohenstaufen entre dans le village d’Ardaillès (aujourd’hui Ardaillers, sur la commune de Val-d’Aigoual) et s’attaque aux recrues du maquis qui, par chance, réussissent à s’enfuir. Les habitants, eux, n’ont pas tous cette opportunité. En effet, ils sont les victimes d'une véritable chasse à l’homme. Au total, un meurtre, celui d’Émile NADAL, abattu alors qu’il tente d’éteindre l’incendie de sa maison, ainsi que six arrestations ont lieu : Émile ECKHARDT, Hénoc NADAL, Louis CARLE, Désir JEANJEAN et les deux frères Joël NADAL et Fernand NADAL. 

Saint-Hippolyte-du-Fort

Ce même jour, peu après 8 heures, un convoi du maquis Bir-Hakeim refuse de s’arrêter à un barrage établi par les Allemands et fait un mort et plusieurs blessés. Une automobile occupée par quatre combattants est rattrapée et immobilisée, son conducteur est tué tandis que les autres occupants tentent de s’échapper. L’un d’eux est abattu sur place, les deux autres parviennent à fuir malgré les blessures causées par les balles allemandes. Quelques heures plus tard, les deux rescapés sont retrouvés, transportés par les habitants à l’hôpital de Saint-Hippolyte-du-Fort puis transférés à l’hôpital de Nîmes. Il s’agit de Fortuné DONATI et Albert LÉVÊQUE. 

Les pendaisons

Le 2 mars 1944, vers 17h30, les cinq prisonniers de Driolle et les quatre de Lasalle sont emmenés dans la cour de l’école de garçons de la rue Bonfa, à Nîmes. Un quart d’heure plus tard, ils sont rejoints par les six prisonniers d’Ardaillès. 

Les deux frères Joël et Fernand NADAL sont alors séparés des autres hommes et libérés.

Entre-temps, d’autres SS, prévenus par des informateurs, se sont présentés à l’hôpital de Nîmes et ont exigé qu’on leur livre les deux maquisards blessés, Fortuné DONATI et Albert LÉVÊQUE

Les SS partent ensuite avec leurs quinze prisonniers en direction du viaduc de la route d’Uzès, route qu’ils bloquent en enfermant les passants entre les barrages afin de les forcer à assister à l’exécution. Au total, six hommes sont pendus à cet endroit.

Le convoi part ensuite en direction du viaduc de la route de Beaucaire, où les SS pendent trois autres prisonniers.

Enfin, il gagne la route de Montpellier où les six derniers prisonniers sont pendus à des arbres.

La fosse commune de Jonquières-Saint-Vincent

Les corps des prisonniers sont enlevés le jour-même et emportés vers une destination inconnue au moment des faits. Le lendemain, les Allemands sont vus en train d’enterrer des cadavres à Jonquières-Saint-Vincent au milieu d’un champ. Au bout de plusieurs jours, en creusant, la présence de cadavres est confirmée.

Les choses restent en l’état jusqu’au 14 septembre 1944, jour où les autorités font procéder à l’exhumation des corps par une équipe composée de prisonniers allemands. Les décès sont enregistrés le 16 par le service d’état civil de la Ville de Nîmes.

Les quinze actes de décès se trouvent aux Archives départementales du Gard dans le registre de Nîmes sous la cote 5 E 9031 (ce registre numérisé sera mis en ligne d’ici la fin de l’année)

Les corps sont transportés à la préfecture afin de procéder à leur identification. Tous les corps sont reconnus par les familles à l’exception de celui de René KIEFFER, dont la famille est absente. KIEFFER resta le pendu inconnu pendant plusieurs années jusqu’à ce que le Mouvement de libération nationale mène une enquête.

Les 14 corps sont inhumés au cimetière Saint-Baudile de Nîmes. Quant à KIEFFER, il repose aujourd’hui à Saumane, aux côtés de Marcel BONNAFOUS, chef du maquis Aigoual-Cévennes.

Quatre femmes, dont la mère de Jean ORDINÈS et celle de Fernand SOULIER, avaient également été arrêtées à Driolle et Lasalle. Elles ont été libérées trois mois plus tard.

Témoignage de Louis Gibelin, maire de Jonquières-Saint-Vincent de 1963 à 2001, puis maire honoraire (décédé en février 2019)

Extrait de la transcription du témoignage oral de Louis Gibelin, ancien maire de Jonquières-Saint-Vincent, réalisé le 28 septembre 2011 par Jean-Paul Boré, président des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (AFMD).

Le 3 mars, les Allemands avaient bouclé les routes. Ils interdisaient à tout le monde de passer. Des villageois avaient fait le tour et vu les Allemands creuser.

Huit ou dix jours après, certains y sont allés avec pelles et pioches et ont découvert un corps. Ils ont gardé ça pour eux.

C’est en août de la même année, à la Libération, qu’ils ont fait savoir ce qu’ils avaient découvert. Ce sont des collabos, qui avaient été arrêtés, que les autorités ont fait creuser pour déterrer les corps.

J’ai été témoin de cette scène, j’avais 17 ans. On était nombreux. Les cadavres avaient encore la corde au cou et les mains liées dans le dos.

Mis dans des cercueils, les corps ont ensuite été conduits au marché couvert du village où les honneurs militaires leur ont été rendus. J’avais un appareil photo mais j’ai manqué tous les clichés.

Une plaque commémorative a été apposée le 2 mars 2024 à Jonquières-Saint-Vincent, à l’endroit où ont été enterrés les cadavres.

Des archives achetées lors d’une vente aux enchères

Régulièrement les services d’archives enrichissent leurs fonds par des achats d’archives privées dès lors qu’elles présentent un intérêt historique. Les acquisitions s’effectuent auprès de particuliers, mais également de commissaires-priseurs, de libraires. Le Département dédie un budget à l’achat de ces fonds et des subventions sont parfois versées aux collectivités territoriales par le Service interministériel des Archives de France (SIAF).

Ainsi récemment, les Archives départementales du Gard ont acquis cinq épreuves d’artiste gravées lors d’une vente aux enchères publiques, les cinq étant légendées et signées de la main de l’artiste Georges BORIAS. Il s’agit d’illustrations réalisées pour l’ouvrage sur la Résistance intitulé Des Camisards aux Maquisards de Muse et Raymond TRISTAN-SÉVÈRE, publié à Uzès en 1945. L’une des gravures représente un pendu de Nîmes sous le pont de chemin de fer.

Ce fonds coté 5 Fi 44 permet ainsi aux Archives de compléter les représentations figurées de cet événement qui a particulièrement marqué l’histoire et la mémoire gardoise. Déjà en 2012, l’intégration du fonds du sculpteur Jean-Charles Lallement, coté 192 J, a permis de sauvegarder les dessins préparatoires sur calques de la fresque centrale sur les pendus de Nîmes, sculptées en bas-relief dans la crypte du monument départemental de la Résistance et de la Déportation, situé sur l’avenue Jean Jaurès.